Cette expression désigne un procédé qui horripile les directeurs littéraires, les éditeurs et les lecteurs aguerris.
Le deus ex machina, c’est le lapin qui sort de son chapeau sans avertissement et qui vient tout solutionner, c’est le tour de passe-passe qu’utilise l’auteur en panne d’inspiration ou qui s’est empêtré tout seul dans son intrigue et qui ne sait plus comment s’en sortir. Et plutôt que de reprendre son boulot à zéro en reconstruisant des éléments d’intrigue solides pour arriver de manière cohérente à une résolution des questions posées par ladite intrigue, l’auteur pas embarrassé de scrupules fait surgir une solution miraculeuse sortie de nulle part, telle une « intervention divine », pour régler d’un coup de baguette magique la situation de blocage dans laquelle se trouve le personnage ou pire pour résoudre tout ce qui reste problématique, toutes les questions en suspens à la fin du roman.
Même si certains grands auteurs ont eu la faiblesse ou la facilité d’y recourir, de nos jours l’usage du deus ex machina (fréquent dans la littérature de l’imaginaire … mais pas que !) est un moyen garanti pour voir son roman rejeté par les maisons d’édition, surtout lorsqu’on est un illustre inconnu !
« Dieu hors de la machine » est la traduction littérale de cette expression qui remonte au temps du théâtre grec, dans lequel il était courant qu’une intervention divine vienne sauver le héros in extremis.
Sur scène, alors que le héros est sur le point de se faire planter un javelot en plein coeur ou de se faire avaler tout cru par un monstre marin, une trappe s’ouvrait « comme par magie » et une des divinités du panthéon grec, Zeus, Aphrodite, Poséidon et Cie, apparaissait soudain et pulvérisait le javelot ou paralysait le monstre le temps que le héros s’enfuie. C’était déjà critiqué sur le plan de la dramaturgie à l’époque où pourtant les divinités faisaient partie du quotidien du peuple, alors imaginez aujourd’hui !
De nos jours, cela désigne une ficelle grossière qu’un auteur emploie pour sortir son personnage de la panade et/ou résoudre son intrigue en un beau « happy end » quand tout semblait concourir à une fin tragique. Si j’ai employé l’adjectif « grossière », c’est bien parce qu’il s’agit d’un manque de finesse, d’une facilité de l’auteur d’une part (et c’est ce qui va lui être reproché), et que le procédé est pour le moins insultant pour les lecteurs d’autre part — car les lecteur.s ne sont pas des idiots et que s’ils veulent du deus ex machina, ils regardent les dessins animés des Looney Tunes plutôt que d’ouvrir un roman.
Le deus ex machina est d’autant plus indélicat qu’il vient trahir la promesse et l’attente liées à un roman. La promesse, c’est celle de l’auteur qui offre un héros au lecteur, mais si celui-ci a besoin d’un miracle pour s’en sortir, en quoi est-il véritablement un héros ? L’attente, c’est celle du lecteur qui suit les aventures et péripéties du personnage pour voir de quelle manière il va réussir à surmonter les obstacles et de quelle manière l’intrigue va finir, mais si l’intrigue se résout toute seule comme par « magie », ça n’offre plus d’intêret et surtout ça crée un sentiment de décrédibilisation et déloyauté défavorables — l’auteur n’a pas tenu son contrat, il a manqué d’inventivité. En effet, le deus ex machina donne l’impression que l’intrigue est mal conçue, pauvre ou même bâclée. Ouch !
Parmi les exemples les plus classiques de deus ex machina, il y a le cas du personnage qui a cruellement besoin d’argent et hop ! il hérite de la vieille tante dont il ignorait l’existence ou re hop ! il trouve un ticket de loto sur un banc et c’est le ticket gagnant du gros lot.
D’autres exemples fréquents :
* l’intervention de Dame Nature : un orage éclate subitement et la foudre frappe le méchant ; alors qu’il y a une course poursuite en auto, un épais brouillard apparait d’un coup et permet au personnage de semer ses poursuivants (quoique, ça peut fonctionner si la scène se déroule en Écosse ou dans les Hauts de l’île de La Réunion !)
* la guérison miraculeuse
* l’intervention des extraterrestres
* la mort surprise
* la fameuse chute de l’histoire « mais tout ceci n’était qu’un rêve » … sous-entendu, vu que c’est un rêve, ça n’a pas besoin d’être logique.
* le frère mort qui en fait ne l’était pas et qui réapparaît juste au bon moment
Lorsque vous construisez votre intrigue, gardez en tête cette définition du dictionnaire Le Robert pour éviter de tomber dans cette facilité : « Personnage, évènement dont l'intervention peu vraisemblable apporte un dénouement inespéré à une situation sans issue ou tragique. »
Saviez-vous qu’il a même été reproché à Tolkien d’avoir employé un deus ex machina dans son célèbre Seigneur des Anneaux ? Le moment, à la fin, où Frodon et Sam sont coincés sur la crête de la Montagne du Destin avec des fleuves de lave tout autour et tout bon lecteur se demande alors : « nan mais, comment vont-ils bien pouvoir se sortir de là ? » ... et que deux aigles géants apparaissent dans les cieux, les agrippent dans leurs serres et hop ! Le tour est joué, situation archi dramatique résolue en un coup de baguette magique.
Il est à noter que le cinéma fait souvent appel au deus ex machina, et parfois de manière tout à fait volontaire et assumée de la part des scénaristes — il faut alors y lire justement un clin d’oeil de leur part, voire de l’autodérision. C’est le cas, par exemple dans le film The Expendable où (attention divulgâchage !) l’apparition de Chuck Norris qui vient sauver toute la bande d’une mort certaine à la fin est clairement un deus ex machina assumé.