Les auteur.e.s se questionnent très souvent, voire angoissent !, sur le découpage de leur récit en chapitres, mais moins nombreux sont ceux parmi les jeunes auteur.e.s à réfléchir dûment au découpage de leurs parties et paragraphes.
Parmi les manuscrits que je reçois en alpha ou en bêta lecture, je constate – y compris chez des écrivain.e.s chevronné.e.s – que ce n’est pas aussi simple qu’on peut le croire, et que cela demande une réflexion attentive lors de la réécriture du premier jet.
Voici trois types d’erreurs que je relève le plus souvent :
a) La confusion entre « paragraphe » et « partie ».
Une partie est un ensemble cohérent de plusieurs paragraphes, identifiés par des passages à la ligne (sans saut de ligne) avec sous l’emploi d’alinéas (retraits de première ligne). Les parties sont séparées les unes des autres par des sauts de ligne.
Dans le cas mentionné, au lieu d’écrire un paragraphe de 15 lignes ou une partie avec 3 ou 4 paragraphes, l’auteur.e présente 4 paragraphes de 3 à 5 lignes, chacun séparé par un saut de ligne, alors même qu’il s’agit d’une continuité de l’action ou de l’idée décrite. Cela crée un éclatement du texte qui se fait au détriment à la fois de la logique et du rythme du récit.
Edgar descendit la nef et dépassa l’autel. Tout au fond de l’église, vint ou trente corps étaient soigneusement rangés, sous les yeux des familles en deuil. Edgar déposa doucement Sunni à terre. Il lui redressa les jambes et lui croisa les bras sur la poitrine avant de lui arranger les cheveux du bout des doigts. Il regrettait de ne pas être prêtre, car il aurait pu prendre soin lui-même de son âme.
Il resta à genoux un long moment, les yeux rivés sur son visage inerte, cherchant à se faire à l’idée que plus jamais elle ne lui rendrait son regard en souriant.
Puis les souvenirs des vivants s’imposèrent à lui. Ses parents étaient-ils en vie ? Ses frères avaient-ils été emmenés en esclavage ? Quelques heures plus tôt, il s’apprêtait à les quitter pour toujours. Maintenant, il avait besoin d’eux. Sans eux, il serait seul au monde.
Il s’attarda encore une minute près de Sunni, puis quitta l’église, Brindille sur ses talons.
Extrait de Le crépuscule et l’aube, de Ken Follet, aux éditions Robert Laffont.
b) Un découpage trop fractionné.
Sous prétexte de bien vouloir faire ressortir certains éléments, l’auteur.e fait de nombreux passages à la ligne avec alinéas, créant des pseudo paragraphes d’une seule phrase, et cela à répétition, sans que cela se justifie par l’organisation cohérente des propos. Résultat : le rythme est haché, décousu, on a la sensation de rouler sur une route pleine de nids de poule.
Edgar descendit la nef et dépassa l’autel. Tout au fond de l’église, vint ou trente corps étaient soigneusement rangés, sous les yeux des familles en deuil.
Edgar déposa doucement Sunni à terre. Il lui redressa les jambes et lui croisa les bras sur la poitrine avant de lui arranger les cheveux du bout des doigts. Il regrettait de ne pas être prêtre, car il aurait pu prendre soin lui-même de son âme.
Il resta à genoux un long moment, les yeux rivés sur son visage inerte, cherchant à se faire à l’idée que plus jamais elle ne lui rendrait son regard en souriant.
Puis les souvenirs des vivants s’imposèrent à lui.
Ses parents étaient-ils en vie ? Ses frères avaient-ils été emmenés en esclavage ? Quelques heures plus tôt, il s’apprêtait à les quitter pour toujours.
Maintenant, il avait besoin d’eux.
Sans eux, il serait seul au monde.
Il s’attarda encore une minute près de Sunni, puis quitta l’église, Brindille sur ses talons.
Extrait de Le crépuscule et l’aube, de Ken Follet, aux éditions Robert Laffont.
c) Un pavé compact.
À l’inverse du cas précédent, ici, l’écrivain.e présente un texte monolithique de 20 à 30 lignes, sans aucune respiration, sans le moindre alinéa. Ce type de texte rebute la lecture et demande plus d’effort de concentration pour les lecteur.ices. C’est aussi le symptôme d’un.e auteur.e qui ne sait pas correctement organiser ses propos et se contente de tous les placer les uns à la suite des autres … ou pire : qui fait preuve de paresse à la réécriture. C’est ce que, personnellement, j’appelle « vomir » un texte.
Edgar descendit la nef et dépassa l’autel. Tout au fond de l’église, vint ou trente corps étaient soigneusement rangés, sous les yeux des familles en deuil. Edgar déposa doucement Sunni à terre. Il lui redressa les jambes et lui croisa les bras sur la poitrine avant de lui arranger les cheveux du bout des doigts. Il regrettait de ne pas être prêtre, car il aurait pu prendre soin lui-même de son âme. Il resta à genoux un long moment, les yeux rivés sur son visage inerte, cherchant à se faire à l’idée que plus jamais elle ne lui rendrait son regard en souriant. Puis les souvenirs des vivants s’imposèrent à lui. Ses parents étaient-ils en vie ? Ses frères avaient-ils été emmenés en esclavage ? Quelques heures plus tôt, il s’apprêtait à les quitter pour toujours. Maintenant, il avait besoin d’eux. Sans eux, il serait seul au monde. Il s’attarda encore une minute près de Sunni, puis quitta l’église, Brindille sur ses talons.
Extrait de Le crépuscule et l’aube, de Ken Follet, aux éditions Robert Laffont.
L’organisation d’un paragraphe et celle d’une partie doivent répondre à une logique, doivent assurer la cohérence et la fluidité du propos. Dans l’exemple proposé, même si les paragraphes sont très courts, on distingue une organisation selon une logique temporelle. Le premier paragraphe accompagne le héros jusqu’à ce qu’il dépose son amoureuse, morte, au milieu des autres défunts. Le second paragraphe est consacré au temps de recueillement. Le troisième paragraphe le sort de sa stupeur douloureuse pour se questionner, faire le point sur sa situation. Enfin, le dernier paragraphe, d’une ligne, marque le moment où le héros sort de l’église. À la suite de quoi, on pourrait avoir un saut de ligne pour indiquer la fin de cette partie et commencer la partie suivante « Une fois dehors, (…) »
L’organisation d’un paragraphe et celle d’une partie insufflent un rythme. Ici, les paragraphes très courts permettent d’accompagner le héros dans son deuil, pudique, et dans ses pensées en offrant des séquences de respiration. Chaque point est une inspiration plus longue qu’une virgule, et chaque passage à la ligne accentue cette respiration et ainsi module le rythme de lecture.
Outre l’analyse de la cohérence logique des idées et propos d’un paragraphe ou d’une partie, une lecture à voix haute de ceux-ci permet très souvent d’en identifier les failles.
Edgar descendit la nef et dépassa l’autel. Tout au fond de l’église, vint ou trente corps étaient soigneusement rangés, sous les yeux des familles en deuil. Edgar déposa doucement Sunni à terre. Il lui redressa les jambes et lui croisa les bras sur la poitrine avant de lui arranger les cheveux du bout des doigts. Il regrettait de ne pas être prêtre, car il aurait pu prendre soin lui-même de son âme.
Il resta à genoux un long moment, les yeux rivés sur son visage inerte, cherchant à se faire à l’idée que plus jamais elle ne lui rendrait son regard en souriant.
Puis les souvenirs des vivants s’imposèrent à lui. Ses parents étaient-ils en vie ? Ses frères avaient-ils été emmenés en esclavage ? Quelques heures plus tôt, il s’apprêtait à les quitter pour toujours. Maintenant, il avait besoin d’eux. Sans eux, il serait seul au monde.
Il s’attarda encore une minute près de Sunni, puis quitta l’église, Brindille sur ses talons.
Extrait de Le crépuscule et l’aube, de Ken Follet, aux éditions Robert Laffont.